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En quoi consiste le droit au bail et comment le céder en toute sécurité?
Date de publication : 04.02.25
Le droit au bail est un droit personnel qui permet au locataire de disposer des locaux loués pour y exercer son activité professionnelle, contrairement à la propriété des murs qui constitue un droit réel.
Le droit au bail est parfois confondu avec le pas-de-porte, alors que ce sont des notions juridiques bien distinctes. Là où le droit au bail correspond au droit de reprendre le bail existant pour la durée restant à courir en versant une somme au locataire en place, le pas-de-porte, lui, représente un droit d’entrée dans les locaux versé au propriétaire lors de la signature du bail et prévu au contrat.
Le droit au bail est un élément du fonds de commerce. Toutefois, n’étant pas un élément essentiel du fonds de commerce, le droit au bail peut être considéré séparément de celui-ci et peut être cédé à un tiers isolément. Il a donc une valeur patrimoniale qui lui est propre, définie par la durée du bail, la situation géographique, le montant du loyer et les conditions générales du contrat.
La cession du droit au bail est l’opération juridique qui va permettre au locataire de transmettre l’emplacement qu’il occupe à un repreneur, qui n’aura pas à négocier un nouveau bail puisqu’il exécutera le bail existant à la place du cédant.
Cette cession est encadrée par des règles précises qui peuvent être légales et/ou contractuelles, (en provenance du contrat de bail lui-même), visant à protéger à la fois le locataire cédant, le repreneur et le bailleur, propriétaire des locaux.
La cession de droit au bail soulève des enjeux contractuels et juridiques non négligeables. Elle nécessite une rédaction et une analyse rigoureuses des clauses du bail, des droits et des obligations des parties, ainsi que le respect de formalités, afin d’éviter tout litige et d’assurer la sécurité juridique de l’opération.
La libre cession du droit au bail : un principe contraint en pratique
La cession de droit au bail est en principe libre (article 1717 du Code Civil). Elle se concrétise via a un contrat par lequel le locataire actuel (le cédant), transfère au futur locataire (l’acquéreur) le bénéfice du bail, c’est à dire le droit de jouissance des locaux.
Le repreneur reprend le bail dans les mêmes conditions que son prédécesseur (même loyer, mêmes charges, même dépôt de garantie, mêmes obligations) pour la durée restant à courir jusqu’au terme du bail. Dans le cadre du bail commercial, il aura le droit au renouvellement et sera couvert par toutes les dispositions protectrices instituées par les articles L145-1 et suivants du code de commerce qui régissent le statut des baux commerciaux sous réserve qu’il l’exploite directement et personnellement pendant trois années entières avant la date d’échéance du bail.
Toutefois, il est courant qu’un nouveau bail soit conclu entre le bailleur et le nouveau locataire à des conditions différentes, concomitamment à la cession du droit au bail notamment lorsque l’échéance du bail est à moins de trois années à compter de la cession et pour permettre d’ouvrir le droit au renouvellement au nouveau locataire.
Le droit au bail peut être transmis à quelqu’un qui souhaite poursuivre l’activité ou exercer une activité complètement différente. Attention néanmoins, le bail se poursuivant dans les conditions initiales notamment de destination des locaux, l’exercice d’une activité différente à celle du cédant doit être prévue par le bail ou doit entraîner le jeu du mécanisme de la déspécialisation (voir notre publication antérieure sur ce sujet).
La transmission au repreneur de son activité : un point d’attention à ne pas négliger
La cession à un repreneur exerçant la même activité se fait par principe par la vente du fonds de commerce (puisque le bail commercial est un élément du fonds de commerce) qui reprendra non seulement le droit au bail mais également la clientèle, le matériel, l’enseigne…, mais aussi par un apport du droit au bail en société, y compris via un apport partiel d’actifs. Ces opérations entraînent souvent une clause de non-concurrence qui ne va pas de soi en cas de cession isolée du droit au bail. Une clause de non-concurrence serait par ailleurs intuitivement un mauvais indice a priori sur l’existence d’une cession du simple droit au bail.
Toutefois, si la vente du droit au bail se fait de manière isolée afin que le repreneur exerce une activité identique, il convient de bien valider au préalable que le droit au bail peut être séparé du fonds de commerce et que sa vente ne constitue pas en réalité une vente de fonds de commerce déguisée.
La vente de fonds de commerce implique la réalisation d’obligations légales en matière de publicité et de droit d’opposition des créanciers, outre le transfert automatique des contrats de travail, que ne nécessite pas la simple cession de droit au bail.
Ce faisant, une requalification de cession de droit au bail en cession de fonds de commerce impliquerait la réalisation de ces obligations et a fortiori des coûts importants et un formalisme non prévus initialement par les parties. Il est donc impératif dans le cadre d’une cession de droit au bail isolée de bien déterminer les activités exercées par le nouveau locataire (cessionnaire) et les comparer à celles du cédant mais d’envisager tout l’environnement de la cession. Ainsi il va de soi qu’on évitera de formaliser une cession de droit au bail isolée et de prévoir concomitamment ou dans une temporalité proche la cession d’éléments matériel, d’enseigne, voire le transfert isolé de salarié, uniquement dans le dessein d’éviter les conséquences techniques d’une cession de fonds de commerce (et notamment le séquestre des fonds pendant plusieurs mois).
La transmission à un tiers exerçant une autre activité : que dit le bail ?
Le droit au bail peut être transmis indépendamment du contrat de bail, à un tiers qui souhaiterait louer les locaux pour y exercer une activité différente de celle du cédant.
Dans ce cas, sa transmission n’est pas liée à la vente du fonds de commerce, bien qu’il soit un élément du bail commercial attaché au fonds. Le droit au bail est vendu de manière indépendante et le fonds de commerce est soit transféré par le cédant pour être exploité dans un autre local, soit supprimé par souhait du cédant d’arrêter toute activité.
La nouvelle activité exercée doit toutefois être compatible avec les activités prévues par la clause de destination du bail. Dans le cas contraire, l’acquéreur ne pourra pas exercer la nouvelle activité et s’expose au refus du bailleur d’autoriser le changement d’activité après la cession.
Les clauses restreignant ou conditionnant la cession prévues au contrat de bail
Bien que la cession du droit au bail soit libre par principe, des dispositions spécifiques visant à limiter ou interdire la cession isolée du bail peuvent être prévues dans le contrat lui-même, ainsi que l’aménagement d’une clause de garantie solidaire du cédant. Il convient de rappeler que de telles clauses ne peuvent interdire la cession du droit au bail au repreneur du fonds de commerce dans le cadre d’une cession de fonds de commerce.
La limitation au droit de céder son droit au bail
Le bailleur a la possibilité d’inclure des clauses limitatives de cession dans le contrat de bail. De telle clauses ont été autorisées et validées par la jurisprudence (Cass. Com., 20 mars 1962, n°57-10.976).
Il est donc courant de voir indiquer dans un bail que la cession de celui-ci requiert une autorisation préalable du bailleur dont il précise les modalités.
Toutefois, la restriction n’est valable que si elle ne porte pas atteinte à l’équilibre contractuel et à la liberté d’entreprendre.
Ces clauses restrictives peuvent limiter la cession du droit au bail en :
- imposant un accord du bailleur dans tous les cas,
- délimitant les cas de libre cession en autorisant uniquement la cession au repreneur exerçant une même activité,
- imposant une durée d’exploitation préalable du fonds de commerce avant cession du droit au bail.
Les clauses nécessitant l’autorisation préalable du bailleur lui permettent de vérifier les compétences du repreneur et sa solvabilité. Le refus doit être motivé et ne peut pas être purement arbitraire. En cas de non-réponse du bailleur à la demande d’autorisation, une autorisation judiciaire peut être demandée.
En cas de non-respect de la clause limitant le droit de céder, le bailleur peut saisir le juge et demander la résiliation judiciaire du bail (Cass. 3e civ., 17 juillet 1996, n° 94-19.822) et rendre la cession du bail inopposable (CA Toulouse, 20 février 2013, n° 80, 11/01041).
L’interdiction de céder son droit au bail
Le bailleur peut interdire purement et simplement à son locataire de céder son droit au bail.
Cette interdiction doit être prévue dans une clause du contrat et n’est valable que si elle ne porte pas atteinte à l’équilibre contractuel et à la liberté d’entreprendre (ce qui est difficile à prouver et rend donc cette clause souvent abusive selon la jurisprudence).
Toutefois, il existe des cas spécifiques où le locataire ne peut pas se voir interdire la transmission du droit au bail :
- Au repreneur de son fonds de commerce :
L’article L145-16 instaure l’interdiction pour le bailleur d’interdire au locataire de céder son bail à l’acquéreur de son fonds de commerce ou de son entreprise ou au bénéficiaire du transfert universel de son patrimoine (TUP), d’une fusion, d’une scission, d’un apport partiel d’actifs.
Le bailleur conserve toutefois un droit d’information de la transmission du bail afin qu’il ait connaissance de l’identité de son nouveau locataire.
- En cas de départ à la retraite ou venant à bénéficier d’une pension d’invalidité :
Le bailleur ne peut pas interdire la cession du droit au bail à son locataire souhaitant faire valoir ses droits à la retraite ou ayant été admis au bénéfice d’une pension d’invalidité attribuée par le régime d’assurance invalidité-décès des professions artisanales ou des professions industrielles et commerciales (article L145-51 du code de commerce).
Dans cette situation, le locataire peut céder son droit au bail sans autorisation préalable du bailleur. Toutefois, il doit respecter 2 conditions cumulatives :
- Le locataire doit être commerçant exerçant en entreprise individuelle, gérant associé unique d’une société à responsabilité limitée (EURL) ou gérant majoritaire depuis au moins 2 ans d’une société à responsabilité limitée pluripersonnelle (SARL) qui est titulaire du bail,
Attention : Ne bénéficient donc pas de cette mesure, les dirigeants de société anonyme (SA) et de société par actions simplifiée unipersonnelle ou non (SAS et SASU).
- La nouvelle activité doit être compatible avec la destination, les caractéristiques et la situation de l’immeuble.
En cas de cession à un repreneur souhaitant exercer une activité différente, une procédure de déspécialisation[1] est mise en place lors de la cession du bail au moment du départ à la retraite. Cette cession est désignée sous le terme de « Cession-Déspécialisation ». Dans ce cas, le bailleur dispose d’un délai de 2 mois après réception de la demande et du projet de cession, pour :
- Soit accepter le changement d’activité et donner son accord à la cession du droit au bail
- Soit accepter un droit de préemption (cf. ci-dessous)
- Soit contester les nouvelles activités et saisir le tribunal judiciaire.
A défaut d’exercice de ses droits dans le délai imparti, l’accord du bailleur est réputé acquis.
La garantie solidaire du cédant
La clause de garantie du cédant au bénéfice du bailleur (article L 145-16-1 du code de commerce) est une clause expresse du bail qui implique qu’en cas de cession du bail (que ce soit par la cession du droit au bail ou par la cession du fonds de commerce), le cédant restera solidaire des loyers impayés par l’acquéreur.
La loi Pinel du 18 juin 2014 est venue limiter la durée de cette garantie à 3 ans à compter de la cession du bail (article L 145-16-2 du code de commerce). Toutefois cet article n’étant pas d’ordre public puisqu’il n’est pas expressément visé par l’article L 145-15 du code de commerce, les parties peuvent y déroger afin de prévoir une période plus longue.
Il convient donc d’être rigoureux dans la rédaction de cette clause, souvent source de litige, et qui est interprétée strictement par le juge. Si cette clause prévoit de garantir le paiement des loyers, le bailleur ne pourra pas l’invoquer pour demander également le règlement des charges locatives.
Cette clause prendra fin en cas de congé donné par l’acquéreur au bailleur et en cas de renouvellement du bail, mais restera active en cas de tacite reconduction du bail arrivé à échéance.
Quel formalisme respecter avant la cession du droit au bail ?
Le droit de préemption
En cas de cession de droit au bail, comme en matière de cession de fonds de commerce, il existe un droit de préemption (ou droit de préférence).
- Le droit de préemption commercial de la commune :
Les communes peuvent avoir mis en place un périmètre de sauvegarde du commerce et de l’artisanat de proximité. Dans ce cas, si les locaux commerciaux dont le droit au bail est transmis sont situés dans ce périmètre, la commune dispose d’un droit de préemption pour acquérir le droit au bail en priorité.
C’est pourquoi, avant tout projet de cession, le cédant doit se rapprocher de la mairie de la commune où se situent les locaux afin de se renseigner sur leur éventuelle inclusion dans le périmètre de sauvegarde. S’ils font partie de ce périmètre, il devra être adressé à la mairie une déclaration préalable de cession. Celle-ci aura 2 mois pour informer le cédant si elle souhaite exercer son droit de préemption ou non. En cas de silence, la commune sera réputée avoir refusé de préempter et le cédant sera libre de vendre son droit au bail.
- Le droit de préemption du bailleur :
Le bailleur ne dispose pas d’un droit de préférence général prévu par le législateur en cas de cession du droit au bail. Si les parties souhaitent donner la possibilité au bailleur de préempter le droit au bail, il faudra prévoir le principe et ses modalités de mise en œuvre dans une clause du contrat de bail.
Toutefois, le législateur a fait une exception à l’article L145-51 du code de commerce dans le cas du locataire qui souhaite faire valoir ses droits à la retraite ou ayant été admis au bénéfice d’une pension d’invalidité attribuée par le régime d’assurance invalidité-décès des professions artisanales ou des professions industrielles et commerciales (comme évoqué ci-dessus). Dans ces deux situations, le locataire devra signifier à son bailleur son souhait de céder son droit au bail en indiquant la nature des activités et le prix de cession. Sans réponse du bailleur dans un délai de 2 mois, celui-ci est réputé accepter la cession à un tiers.
L’information des créanciers
S’il existe des créanciers privilégiés qui bénéficient d’une garantie sur le fonds de commerce, le locataire doit les informer de son intention de céder le droit au bail.
Les créanciers nantis sur le fonds de commerce n’ont pas de droit de suite sur les éléments séparés du fonds, sauf si la vente de cet élément séparé dissimule en réalité une vente de fonds de commerce.
Si l’article L 143-10 du code de commerce prévoit une protection au bénéfice des créanciers nantis contre la vente forcée d’un élément du fonds de commerce, en obligeant la vente du fonds si la vente séparée d’un élément met en péril la valeur du fonds, il n’en est rien pour la vente volontaire.
La jurisprudence est intervenue afin d’instaurer une obligation d’information des créanciers nantis sur le fonds de la cession séparée d’un élément du fonds de commerce. (Cass. 1ère civ, 14 novembre 1995 n°93-14.567).
Cette information permet aux créanciers de faire valoir les clauses du contrat de nantissement qui auraient été prévues pour les protéger en cas de perte de valeur du fonds, telle que la clause de déchéance du terme permettant de demander le recouvrement immédiat de la totalité de sa créance ; et au rédacteur de l’acte de cession du droit au bail d’organiser contractuellement le désintéressement des créanciers nantis.
Cession de droit au bail : Le passage à l’acte
La rédaction de l’acte :
La cession de droit au bail nécessite la rédaction d’un acte écrit qui peut être authentique ou sous-seing privé, signé par les parties. Le recours à l’écrit notamment pour éviter toute confusion avec une cession de fonds de commerce est nécessaire voire fondamental. Si le formalisme d’un tel acte peut apparaître plus léger que celui d’un acte de cession de fonds de commerce, il convient néanmoins de bien cadrer la cession et les obligations des deux parties
Il n’y a pas d’obligation de recourir à un séquestre même s’il peut être préférable d’en prévoir un contractuellement selon les cas.
L’opposabilité de la cession :
La cession de droit au bail est soumise aux dispositions de l’article 1690 du Code Civil.
Excepté dans le cas où le bailleur aurait concouru à un acte authentique, l’acte de cession doit lui être signifié par Commissaire de justice (huissier de justice) afin qu’il lui soit opposable.
En l’absence de signification, le bailleur est en droit de considérer:
- l’acquéreur comme un occupant précaire, sans droit ni titre de jouir des locaux, et de demander son expulsion par voie judiciaire
- le cédant comme le locataire des locaux et pourra demander au juge la résiliation du bail ou refuser son renouvellement sans indemnité.
L’enregistrement :
L’acte de cession du droit au bail doit être enregistré dans un délai d’un mois, auprès du service départemental de l’enregistrement du lieu où sont situés les locaux.
C’est une opération soumise aux droits d’enregistrement de l’article 719 du Code général des impôts (celui appliqué aux cessions de fonds de commerce). Ces droits sont progressifs par rapport au prix de cession avec un droit fixe minimum de 25 euros.
Un enregistrement au service de la publicité foncière peut être requis lorsque le droit au bail cédé est celui d’un bail à construction ou d’un bail emphytéotique.
La publicité :
A l’inverse de la cession de fonds de commerce, aucune publicité n’est requise, ni dans un journal d’annonces légales, ni par avis au Bulletin Officiel des Annonces Civiles et Commerciales (BODACC).
Pour conclure…
La cession de droit au bail est une opération importante pour le cédant qui souhaite arrêter son activité ou la transmettre. Cette opération doit être menée avec prudence puisqu’elle suppose le respect des dispositions légales et contractuelles afin d’éviter tout contentieux.
Les litiges les plus courants des cessions de droit au bail portent sur la clause de solidarité dans le paiement des loyers, le non-respect des clauses de cession (information et agrément du bailleur), ainsi que le non-respect de la signification de l’article 1690 du Code Civil.
C’est pourquoi, il est essentiel pour les parties de bien préparer la cession et d’anticiper les obligations respectives avant de céder ou d’acquérir un droit au bail.
Il est recommandé de se faire accompagner par un conseiller juridique afin de sécuriser la rédaction des documents et la réalisation des formalités ante et post cession.
[1] Pour la procédure de déspécialisation, voir l’article d’Andréa Touflet « Peut-on changer son activité dans un bail commercial ? »
À propos de L'auteur
Angélique Laurioux
Directrice juridique
Angélique Laurioux est directrice juridique. Elle accompagne ses clients de la région Auvergne Rhône Alpes en droit des affaires.
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