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Indemnité d’éviction : quels sont vos droits en cas de non-renouvellement du bail commercial?
Date de publication : 09.01.25
L’un des avantages issus du statut des baux commerciaux est l’existence au profit du preneur d’un droit au renouvellement du bail à son échéance en vertu des dispositions légales. Ce droit permet de garantir au preneur à bail soit de pouvoir obtenir le renouvellement de son bail soit d’être indemnisé en cas de non-renouvellement.
C’est en ce sens que l’on évoque au profit du preneur à bail un droit de « propriété commerciale », dans la mesure où le statut des baux commerciaux lui octroie une protection particulière à ce titre en permettant de l’assurer d’une certaine façon quant à la perte de la valeur de son fonds de commerce et donc indirectement de son entreprise. Ce droit à indemnisation constitue ainsi pour le preneur à bail une garantie de son droit au renouvellement. En effet, sans droit à indemnisation en cas de non-renouvellement du bail, le preneur aurait en réalité un droit purement hypothétique.
Néanmoins, l’existence de cette indemnité n’est pas automatique et elle soulève par ailleurs souvent en pratique un débat quant à son évaluation et son montant. Elle peut être évaluée de gré à gré entre les parties et, à défaut, il appartiendra au juge, le plus souvent accompagné d’un expert, de déterminer la nature du préjudice à indemniser mais également son montant. Cela suppose d’ores et déjà que ce préjudice soit indemnisable.
Le droit à indemnité en cas de non-renouvellement : un droit conditionné
Le droit à indemnité n’est pas systématique. Le preneur, pour avoir droit à une indemnité, doit remplir un certain nombre de conditions.
Ainsi la loi prévoit un droit à indemnité quand le preneur perd le droit au renouvellement du bail pour une cause qui lui est extérieure. De fait, si le preneur sollicite la fin du bail ou convient des termes d’une résiliation anticipée du bail, ce droit à indemnité n’est pas prévu par la loi. Rien n’interdit aux parties de prévoir conventionnellement au bail une indemnité. En effet, le preneur qui prend l’initiative d’interrompre le bail ou qui quitte les locaux de manière volontaire avant la date d’effet du congé perd tout droit à indemnité.
Il est important de rappeler par ailleurs que le droit à indemnité en cas de non-renouvellement suppose d’avoir respecté l’intégralité des conditions du bail et donc de pouvoir bénéficier légalement du droit au renouvellement. Un preneur à bail pourrait se voir objecter le refus de renouvellement du bail à son échéance du fait qu’il n’aurait pas respecté les conditions dudit contrat (par exemple en cas d’exercice d’activités non autorisées) ou du droit au renouvellement (exploitation de moins de trois ans à la date du droit au renouvellement par exemple en cas de rachat du droit au bail). En pareil cas, n’ayant pas droit au renouvellement dans les conditions prévues par la loi, il ne pourra utilement demander le versement d’une indemnité si le bail n’est pas renouvelé à son terme. Enfin, condition essentielle pour l’application de ce droit à indemnité : le fonds doit être exploité de manière continue jusqu’à la date d’effet du congé. Si le preneur cesse son activité avant cette date, il ne peut plus prétendre à une indemnité venant compenser la perte de son commerce, celui-ci n’étant en réalité plus exploité à la date du droit à indemnisation.
Il est donc particulièrement important de s’assurer du strict respect des conditions du bail avant d’entamer toute démarche en indemnisation et de s’assurer notamment du parfait règlement des loyers et des charges. De même le bailleur, avant de faire délivrer un congé sans offre de renouvellement, aura tout intérêt à anticiper et organiser une stratégie en vue de répondre à la demande d’indemnisation du preneur. C’est un point trop souvent traité avec légèreté par les preneurs et qui peut conduire à se voir refuser une indemnité de non-renouvellement de bail voire entraîner un débat judiciaire.
Également, et même en cas de respect des conditions du bail et de la réglementation par le preneur, le bailleur peut également refuser le renouvellement de son bail sans pour autant devoir l’indemniser. Ce sera notamment le cas :
- lorsque l’immeuble ou les locaux loués sont déclarés insalubres par une autorité administrative ou s’il ne peut être occupé sans danger en raison de son état général
- lorsque les locaux sont détruits par cas fortuit en vertu de l’article 1722 du Code Civil
- s’il existe un motif grave ou légitime pour refuser le paiement d’une indemnité d’éviction
Enfin, il convient de rappeler que le droit à indemnité est d’autant moins systématique que même en présence d’une offre d’indemnité à l’issue d’un congé sans renouvellement de bail, le bailleur peut tout à fait user de son droit de repentir ou invoquer la dénégation du statut des baux commerciaux après que soit engagée une discussion sur le montant de l’indemnité à verser. De fait, en faisant usage de son droit de repentir le bailleur pourra proposer les termes d’un nouveau bail et ainsi échapper à l’indemnisation du preneur.
Indemnité de remplacement ou indemnité de transfert : il faut choisir
L’indemnité d’éviction doit réparer le préjudice causé au preneur par le défaut du renouvellement (article L.145-14 alinéa 1 du Code de commerce). Cela revient à dire qu’il faut indemniser l’intégralité du préjudice et uniquement ce préjudice.
L’indemnité est constituée par principe d’une indemnité principale (dite de remplacement ou de transfert selon la nature du préjudice à indemniser) et d’indemnités accessoires.
Par principe, l’article L. 145-14 du Code de commerce laisse à supposer que l’indemnité d’éviction est en réalité une indemnité dite de remplacement qui vient indemniser le préjudice correspondant à la perte du fonds. Il s’agit néanmoins d’une simple présomption et les conditions du non-renouvellement peuvent conduire non pas à considérer que le fonds est perdu dans sa totalité mais qu’il convient en réalité de prévoir une indemnité de transfert indemnisant le déplacement du fonds et non sa perte totale ou partielle. De ce fait, l’indemnité est soit une indemnité de remplacement (pour compenser la perte du fonds) soit une indemnité de transfert (pour indemniser le coût de transfert du fonds et la perte d’exploitation pendant ce transfert). Il n’est pas envisageable d’obtenir les deux indemnités pour un même fonds de commerce, l’une excluant par nature l’autre.
Transférabilité du fonds et indemnisation – un critère central d’évaluation
La question essentielle qui va se poser au moment de déterminer pour les parties (et par le juge en cas de litige) l’indemnité à verser est de déterminer le préjudice subi en réalité.
Chaque fois que le non-renouvellement va entraîner la perte de la clientèle, il y aura lieu d’estimer une indemnité de remplacement. Cela va être le cas notamment lorsque le fonds est à une adresse fixe et qu’il est manifestement impossible de transférer cette activité vers une autre adresse sans perte irréversible sur la valeur du fonds lui-même ou son existence.
Il appartiendra d’ailleurs au bailleur de prouver, par tous moyens, que la perte du fonds n’est pas irréversible en pareil cas. Cette preuve n’incombe pas au preneur qui par principe a droit à une indemnité dont la valeur est au moins équivalente à la valeur de son fonds de commerce en pareil cas.
A l’inverse, lorsque le preneur a pu poursuivre une exploitation à une autre adresse, il ne peut prétendre avoir perdu son fonds de commerce. Dès lors l’indemnité à déterminer n’indemnise non plus la perte du fonds mais son « transfert ». Ce sera notamment le cas où l’existence du fonds tient plus en réalité à la réputation du preneur qu’à son emplacement.
A ce titre, il sera important d’analyser les circonstances de ce transfert vers une autre adresse. En effet, le refus systématique du preneur de transférer son activité alors qu’elle serait « transférable » ne pourra pas nécessairement permettre de l’indemniser pour la perte du fonds.
De la même façon, les entreprises qui font du e-commerce auront naturellement plus de difficulté à obtenir une indemnité d’éviction de la valeur de leur fonds de commerce, dans la mesure où justement leur activité est non localisée par principe.
La transférabilité du bail a un impact direct sur la valeur de l’indemnité à déterminer.
En synthèse, on peut retenir que :
- Lorsque le fonds est transférable : l’indemnité principale est fixée en rapport avec la valeur du fonds de commerce, cette valeur constituant par ailleurs le plafond de l’indemnité.
- Lorsque le fonds n’est pas transférable : l’indemnité principale est fixée au regard de la valeur du droit au bail, que cette valeur soit supérieure ou non à la valeur du fonds de commerce.
En pratique, comment évaluer l’indemnité d’éviction ?
Cette indemnité repose donc, comme expliqué précédemment, sur la valeur du fonds de commerce. Ce dernier n’est pas défini par le Code de commerce, mais selon la jurisprudence, il est convenu de retenir que le fonds de commerce correspond « à l’ensemble des éléments corporels (marchandises, matériel, etc.) et des éléments incorporels (clientèle, personnel, droit au bail, nom commercial, etc.) affectés à l’exploitation d’une activité commerciale ou industrielle ».
Pour l’évaluation de ce fonds de commerce, aucun texte de loi ne définit non plus précisément les critères d’évaluation. Par usage, on retient la valeur marchande qu’un exploitant pourrait obtenir en vendant son activité. Il est nécessairement tenu compte des performances économiques de l’activité exploitée dans le fonds et de ce qu’il se pratique dans un domaine d’activité, dans une profession.
Pendant des années, un barème de pourcentage de chiffre d’affaires par métier était utilisé pour évaluer un fonds de commerce. Ce mécanisme un peu désuet dans son fondement a été abandonné car chiffre d’affaires élevé ne signifie pas toujours bonne marge; bonne rentabilité ne veut pas dire résultat élevé.
A ce jour, les experts lui préfèreront une méthode basée sur la rentabilité du fonds et sa capacité à générer des résultats sur plusieurs années. Concrètement, l’évaluation du fonds sera fondée sur une moyenne de trois années (en général) d’Excédent Brut d’Exploitation (EBE), retraité en amont des différents choix de gestion de l’exploitant du fonds, multiplié par un coefficient déterminé selon le domaine d’activité (un multiple allant de 3 à 7 peut être régulièrement retenu). Les variables retenues (coefficient, EBE, EBITDA, retraitement…) feront l’objet d’un arbitrage par l’expert ou les parties en fonction des usages de la profession exercée dans le fonds, de pratiques locales ou judiciaires ou peuvent relever d’une simple entente des parties (en cas d’évaluation de gré à gré).
D’autres méthodes existent, comme celle des comparables : on répertorie alors toutes les cessions sur des fonds similaires, dans des conditions d’exploitation semblables. Cette méthode est complexe à mettre en œuvre puisque la plupart des ventes de gré à gré ne sont pas publiques. Une autre méthode par l’actualisation des flux de trésorerie (également appelée DCF pour Discounted Cash Flow) peut être utilisée. Elle consiste à actualiser les flux de trésorerie que l’activité pourra générer dans le futur. Méthode peu utilisée pour un commerce de proximité mais plutôt dans l’environnement des start-ups, elle a des limites devant un tribunal, puisque le choix de la durée des flux de trésorerie, du taux d’actualisation sont aléatoires.
Ces méthodes reconnues à la fois par l’administration fiscale et par les tribunaux dans le cadre de l’expertise de valeur de fonds de commerce en cas de cession trouvent tout naturellement à s’appliquer dans le contexte du calcul de l’indemnité d’éviction qui revient, en réalité, à assimiler l’indemnité à un prix de cession du fonds indemnisé par le bailleur.
Néanmoins, et c’est un point d’attention important : il convient de ne tenir compte que des activités autorisées par le bail pour cette évaluation du fonds de commerce. Outre le fait que l’exploitation d’activité non autorisée pourrait être de nature à empêcher le droit au renouvellement, il ne doit pas être tenu compte de ces activités dans les éléments économiques retenus pour l’évaluation. Ainsi le chiffre d’affaires ou la rentabilité dégagée par une activité non autorisée sont à neutraliser dans les références économiques retenues.
Il convient également de valoriser le droit au bail : élément incorporel essentiel du fonds de commerce, il constitue la valeur de l’emplacement choisi initialement pour l’activité réalisée et le loyer payé que l’exploitant essaie de développer tout au long de son activité. A minima, le preneur de bail pourra se voir indemnisé à la hauteur du droit au bail.
Un expert immobilier peut être consulté pour déterminer cette valeur de droit au bail. En effet, plusieurs méthodes peuvent être retenues comme celle de la logique de marché (similaire à la méthode des comparables pour l’évaluation d’un fonds de commerce) ou bien encore celle du différentiel de loyer. Là encore de nombreux critères devront être analysés au-delà de la seule attractivité du commerce concerné. En effet, la valeur du droit au bail est liée à la valeur du fonds lui-même mais suppose une analyse plus large tenant compte des critères de commercialité locale (attractivité de la zone de chalandise, évolution du marché locatif local et global, impact de la circulation et de la densité de population, attractivité locale…).
A quelle date apprécie-t-on l’indemnité d’éviction ?
L’indemnité est déterminée à la date d’effet du refus de renouvellement. C’est à cette date que le preneur perd son droit à se maintenir légalement et conventionnellement dans les lieux (outre le fait qu’il pourrait s’y maintenir en contrepartie d’une indemnisation du bailleur). Il est donc indifférent que le preneur ait cessé son activité après cette date ou l’ait poursuivi. On ne tiendra pas compte des éléments postérieurs à cette date, qu’ils soient favorables ou défavorables au preneur pour le calcul de l’indemnité à lui devoir.
Lorsque le bail prend fin suite à congé délivré par le bailleur sans offre de renouvellement, c’est ainsi à cette date d’effet du non-renouvellement (et non à la date du congé délivré) que l’on appréciera la situation au regard à la fois du droit à l’indemnisation mais aussi son calcul proprement dit.
Lorsque la situation est conflictuelle entre les parties, il faudra alors avoir une attention particulière sur l’analyse des dates retenues pour apprécier ces deux éléments au risque d’encourir ensuite une annulation de l’indemnité par la voie judiciaire.
Attention à la prescription !!!
A considérer que le preneur ait pu passer toutes les embûches prévues par la loi pour avoir droit à une indemnité, encore faut il que sa demande ne soit pas prescrite.
A cet égard, il convient de rappeler que la demande en indemnité de non-renouvellement de bail commercial se prescrit par deux ans à compter de la date de fin d’effet du bail. Il est donc important d’agir vite pour le preneur pour éviter de laisser passer ce délai et se voir ainsi opposer un rejet d’indemnité par suite de la prescription.
A l’inverse le bailleur a tout intérêt à jouer la montre. Selon le cas, il aura ainsi intérêt à faire délivrer un congé avec refus de renouvellement sans pour autant fixer les conditions de l’indemnité proposée pour laisser venir à lui le preneur et éventuellement jouer sur la prescription si ce dernier tarde à se manifester sur ce sujet.
A propos de L'auteur
Pierre Lamant
Directeur Juridique chez In Extenso
Directeur juridique au sein d’In Extenso Sud-Ouest depuis 7 ans et fort d’une expérience en droit des affaires depuis 20 ans, Pierre intervient en tant que conseil juridique en droit des affaires incluant l’organisation juridique, le droit des sociétés, les contrats commerciaux et l’ensemble des problématiques liées aux acquisitions et fusions.
Fanny Malvaut
Directrice expert-comptable
Fanny Malvaut est Directrice expert-comptable de l’agence de Villenave d’Ornon. Elle accompagne les entrepreneurs de la région sud-ouest dans la création, le développement, la gestion et la transmission de leur activité.
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