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Peut-on changer son activité dans un bail commercial ?

Date de publication : 07.11.24

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Le contrat de bail commercial fixe par une clause expresse la nature de l’activité qui pourra être exercée dans les locaux loués. Cette clause s’appelle la clause de destination. Elle est soumise à la liberté contractuelle et permet au bailleur et au locataire de se mettre d’accord sur l’affectation des lieux loués.

Cette clause peut permettre l’exercice d’une activité bien précise, de plusieurs activités définies ou bien de tous types d’activités, dans ce dernier cas, on parle de bail « tous commerces » qui permet au locataire d’exercer l’activité de son choix. Dans la pratique, il est d’usage d’encadrer plutôt strictement la destination.

Il convient, lors des négociations, d’apporter une attention particulière à la rédaction de cette clause. En effet, le commerçant (industriel ou artisan) ne pourra exercer aucune autre activité que celle qui sera comprise dans la clause de destination pendant toute la durée du bail commercial, sous peine de sanctions telles que la résiliation du bail (de plein droit ou judiciaire), le refus de renouvellement du bail sans indemnité d’éviction ou encore l’octroi de dommages et intérêts au profit du bailleur ayant subi un préjudice du fait du non-respect de la clause.

Le locataire aura donc tout intérêt à négocier pour obtenir une rédaction large de la clause afin de bénéficier de plus de souplesse pour l’exploitation de son activité sous réserve de cohérence avec son objet social s’il est en société ou son activité déclarée s’il est entrepreneur individuel.

Le Code de commerce concède toutefois une certaine marge de manœuvre au locataire et lui permet de modifier partiellement (déspécialisation partielle) ou totalement (déspécialisation plénière) son activité en cours de bail sans pour autant craindre que le bail ne soit remis en cause, sous réserve du respect du formalisme inhérent à chaque procédure. La jurisprudence a, quant à elle, développé la déspécialisation incluse.  

La déspécialisation partielle

La déspécialisation partielle, visée à l’article L.145-47 du Code de commerce, est un mécanisme qui permet au commerçant de pouvoir adjoindre une activité connexe ou complémentaire à celle prévue au bail. Cet article est d’ordre public et ne peut donc pas être écarté lors des négociations.

La difficulté de ce dispositif réside dans le fait que la loi ne définit pas les notions
d’activités « connexes » ou « complémentaires ». C’est la jurisprudence qui est venue, au fil des années, préciser ces notions. La connexité est caractérisée par un rapport étroit, une similitude, entre deux activités, tandis qu’une activité complémentaire permet de développer une meilleure exploitation de l’activité principale sans toutefois modifier la nature de cette dernière.

ILLUSTRATIONS

– L’activité de vente de disques est considérée comme connexe à celle de librairie 
– L’activité de vente de confiseries, chocolats et glaces n’est ni connexe ni complémentaire à l’activité de boulangerie.

Afin de pouvoir se prévaloir d’une adjonction d’activité connexe ou complémentaire, le locataire doit obligatoirement respecter la procédure visée à l’article L.145-47 du Code de commerce; à défaut, il reste tenu aux stipulations du bail. La procédure lui impose de « faire connaître son intention au propriétaire par acte extrajudiciaire ou par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, en indiquant les activités dont l’exercice est envisagé ». Ainsi, il ne s’agit pas d’une demande d’autorisation émanant du locataire mais d’une simple information au bailleur. Ce dernier dispose ensuite d’un délai de 2 mois pour contester le caractère connexe ou complémentaire de l’activité adjointe sans avoir à motiver sa décision, la contestation ne pouvant porter que sur cela. A défaut de réponse dans le délai imparti, il est réputé avoir accepté l’adjonction d’activité. Toutefois, le locataire est tenu d’attendre la fin dudit délai avant de pouvoir exploiter réellement la nouvelle activité.  En effet, dans le cas contraire, il manquerait à ses obligations contractuelles et serait susceptible d’être sanctionné (voir les sanctions visées ci-dessus au paragraphe 2). 

En cas de contestation, la réponse du bailleur n’est soumise à aucune forme particulière mais doit manifester de façon non équivoque son opposition. Il conviendra ensuite à la partie la plus diligente (en pratique le locataire) de saisir le tribunal judiciaire afin qu’il statue sur le caractère connexe ou complémentaire de l’adjonction d’activité souhaitée. Ce sont donc les juges qui détiennent le pouvoir souverain de décider si une activité peut être considérée comme connexe ou complémentaire. Pour ce faire, la loi leur impose de se baser sur l’évolution des usages commerciaux. Ces notions sont, par conséquent, mouvantes dans le temps et l’espace. Pour autant, la jurisprudence fournie sur ce point permet au cas par cas de pouvoir définir raisonnablement quelles activités pourraient être considérées comme connexes ou complémentaires sans trop de risque (avec la possibilité même parfois de considérer que la déspécialisation incluse pourrait être invoquée – voir ci-après).

La principale conséquence d’une déspécialisation partielle est la possibilité pour le bailleur d’augmenter le loyer au moment de la première révision triennale qui suit la déspécialisation, si les activités adjointes entraînent une modification de la valeur locative des lieux loués (art. L.145-47 al. 3 C. commerce).

La déspécialisation plénière

La déspécialisation plénière (art. L.145-48 et s. C. de commerce) consiste, quant à elle, à modifier l’activité initialement prévue dans le bail en transformant le fonds de commerce exploité. Pour ce faire, le locataire doit remplir 3 conditions cumulatives énoncées par la loi pour justifier le développement d’une nouvelle activité, celle-ci doit :

  • être justifiée par  la conjoncture économique (une crise économique affectant la branche d’activité du locataire, de mauvais résultats financiers ou un commerce non rentable par exemple) ;
  • tenir compte de l’organisation rationnelle de la distribution, par exemple au vu des besoins de la clientèle et des commerces préexistants aux alentours ;
  • être compatible avec la destination, les caractères et la situation de l’immeuble ou de l’ensemble immobilier et par exemple ne pas contrevenir au règlement de copropriété ou nuire au voisinage.

A la différence de la déspécialisation partielle, la déspécialisation plénière doit être autorisée en amont par le bailleur. A cette fin, la demande de déspécialisation plénière doit être formée par acte extrajudiciaire ou par lettre recommandée avec demande d’avis de réception par le locataire et doit comporter l’indication des activités dont l’exercice est envisagé (art. L. 145-49 C. commerce). Le bailleur dispose ensuite d’un délai de 3 mois pour accepter, refuser ou assortir de conditions la demande. A défaut de réponse dans ce délai, il est réputé avoir accepté cette demande. Afin de pouvoir s’y opposer, le bailleur doit motiver son refus en invoquant des motifs graves et légitimes (exemple : s’il souhaite reprendre les lieux à l’expiration de la période triennale en cours en vue d’exécuter des travaux prescrits ou autorisés dans le cadre d’une opération de rénovation urbaine ou de restauration immobilière).

En cas d’opposition, le locataire pourra par la suite contester le bienfondé de la décision de refus devant le tribunal judiciaire, qui devra alors souverainement rechercher si le refus du bailleur est justifié au vu des conditions listées par la loi. Dans tous les cas, si le locataire exerce une nouvelle activité avant même d’avoir obtenu l’autorisation du bailleur, il commet une infraction au bail et s’expose aux mêmes sanctions qu’en cas de déspécialisation partielle.

La loi impose également au locataire de notifier aux créanciers inscrits sur le fonds de commerce sa demande de déspécialisation, dans les mêmes formes que pour le bailleur, afin de leur permettre de saisir le juge pour subordonner le changement d’activité à des garanties pour leurs intérêts.

La déspécialisation plénière entraîne plusieurs conséquences (art. L.145-50 al.1 C. commerce), le locataire pourra être contraint notamment à verser une indemnité égale au montant du préjudice dont le bailleur établirait l’existence, le bailleur pourra également demander, dès la transformation du fonds, la modification du loyer sans attendre la révision triennale et enfin, les droits des créanciers inscrits seront reportés sur le fonds après déspécialisation avec leur rang antérieur.

La déspécialisation incluse

Il faut finalement observer que la jurisprudence permet, dans certains cas, au locataire de modifier son activité partiellement sans avoir à respecter la procédure de déspécialisation partielle. La doctrine parle de déspécialisation incluse. Dans ce cas, les juges estiment, en interprétant la clause de destination des locaux, que certaines activités sont implicitement incluses à celle prévue au bail, de sorte qu’elles peuvent être exercées sans passer par la procédure de déspécialisation partielle. A cet égard, les juges peuvent notamment s’appuyer sur l’évolution des usages commerciaux pour se prononcer. Toutefois, il est recommandé au locataire de suivre malgré tout la procédure de déspécialisation partielle pour ne pas risquer d’être sanctionné dans le cas où l’activité ajoutée ne serait finalement pas considérée comme implicitement incluse par le juge.

Pour conclure, la clause de destination doit recevoir une attention particulière lors de la rédaction du bail commercial et tout au long de son exécution, car elle encadre les activités que peut exercer le locataire dans les locaux et les conséquences de son non-respect peuvent lui être préjudiciables, notamment dans le cas où il se serait dispensé de suivre les procédures de déspécialisation pour diversifier son activité.

Il demeure important lors de la mise en place du bail de mesurer cette clause à l’aune des activités que l’entreprise locataire envisage de développer. A cet égard, la même réflexion doit être engagée lors de la rédaction des statuts d’une société. En effet si l’objet doit au même titre que la clause de destination du bail viser l’activité principale de l’entreprise, il y a tout intérêt à embrasser également toute les activités connexes et complémentaires. Ce sera d’ailleurs un bon indice


A propos de L'auteur

Andréa Touflet

Juriste

Andréa est juriste au sein de l’agence de Villeurbanne. Elle accompagne les chefs d’entreprise de la région Auvergne Rhône Alpes en droit des sociétés et droit commercial.

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