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Tacite prolongation du bail commercial : les pièges à éviter pour les locataires et les bailleurs
Date de publication : 19.12.24
Votre bail commercial arrive à échéance et rien n’a été fait ? Attention, la tacite prolongation s’enclenche automatiquement ! Ce mécanisme méconnu peut avoir des conséquences majeures pour le locataire et le bailleur : précarité, loyer déplafonné, résiliation rapide… Cet article fait le point sur tout ce que vous devez savoir pour éviter les mauvaises surprises et reprendre la main sur votre contrat.
Tacite prolongation du bail : quels sont les enjeux à l’échéance ?
La durée d’un bail commercial est fixée contractuellement par les deux parties sans pouvoir être inférieure à neuf années consécutives sauf à sortir des règles propres du bail commercial. Il convient de rappeler d’ores et déjà que si les parties peuvent convenir d’une durée supérieure à neuf ans pour le bail initial, cela comporte des conséquences importantes notamment au niveau du droit au renouvellement et de l’application du régime protecteur des baux commerciaux.
Il n’est pas rare que bailleur et preneur ne se soucient pas du bail arrivé à échéance et le laissent se poursuivre, notamment lorsque leurs relations sont bonnes et qu’ils n’entendent pas y mettre un terme. Pourtant, la réglementation prévoit des dispositions, assez peu intuitives pour des novices il est vrai, à l’échéance du bail, pour son renouvellement.
Si la loi prévoit que le preneur a droit au renouvellement de son bail avec un mécanisme assez protecteur, il faut en revanche que ce renouvellement intervienne dans le cadre d’un formalisme assez strict et non par simple attentisme des parties.
Dès lors que se passe-t-il justement si le bailleur ne donne pas de congés, avec ou sans offre de renouvellement et si le preneur, lui-même, ne sollicite pas officiellement le renouvellement ? Certes le bail se poursuit à son échéance mais les conséquences de cette prolongation sont souvent mal anticipées ou appréhendées.
Tacite prolongation ou prorogation tacite : quelle différence et pourquoi est-ce important ?
En effet, à la date d’expiration du bail commercial (en général au bout des neufs ans sauf clause de durée plus longue), et en l’absence de demande de renouvellement par le locataire ou d’un congé avec offre de renouvellement délivré par le bailleur, le bail commercial se prolonge tacitement, c’est-à-dire qu’il continue à produire ses effets après sa date contractuelle d’expiration. Aucun nouveau contrat n’est alors conclu entre les parties et les clauses du bail initial continuent de s’appliquer.
Les parties peuvent néanmoins dans le contrat, dès l’origine, prévoir une clause de prorogation tacite du contrat, qui permettra de faire échec à cette tacite prolongation. En effet, contractuellement, rien n’interdit aux parties de convenir du sort du bail à son échéance dès lors que cette clause ne fait pas échec à la règle d’ordre public autorisant le droit au renouvellement du bail au profit du preneur.
Elles ont la possibilité de prévoir un mécanisme de reconduction tacite, permettant au bail, une fois arrivé à son terme, de se prolonger pour une nouvelle période de neuf ans selon des conditions définies par accord mutuel. Faute d’une telle clause, la prolongation tacite va s’appliquer. Quelles sont dès lors les conséquences de cette prolongation ?
Que signifie un bail à durée indéterminée après échéance ?
Le fait qu’aucun nouveau contrat ne soit conclu a des conséquences non-négligeables à la fois pour le bailleur et pour le preneur.
Le bail tacitement prolongé est à durée indéterminée. En effet, contrairement à une idée reçue, le bail qui se poursuit à son échéance devient à durée indéterminée et ne se renouvelle ni pour neuf ans ni pour une durée équivalente à sa durée initiale (comme cela pourrait être le cas en prorogation tacite organisée contractuellement).
Le preneur conserve son droit au renouvellement du bail à l’échéance même s’il n’en a pas fait la demande, dès lors qu’il remplit les conditions nécessaires à l’exercice de ce droit :
- être propriétaire du fonds de commerce
- et avoir exploité le fonds de façon effective au cours des 3 années ayant précédé la date d’expiration du bail.
Le bailleur peut toujours refuser le renouvellement du bail mais il devra soit justifier d’un motif légitime pour refuser le renouvellement, soit verser une indemnité d’éviction au locataire. Il devra alors faire application des dispositions fixées par la loi pour donner congé au preneur.
Si le bail commercial ne peut prendre fin qu’à certaines périodes bien définies et dans de conditions strictement encadrées (notamment par résiliation triennale à la demande du preneur), le bail tacitement prolongé peut lui prendre fin à tout moment par un congé avec ou sans offre de renouvellement donné par le bailleur ou par un congé donné par le locataire (par acte extrajudiciaire) à tout moment.
Le bail sera alors rompu à l’échéance de six mois et pour le dernier jour du trimestre civil suite à cette demande. Cette rupture est surtout unilatérale et ne nécessite en rien de constater un accord des parties sur ce point.
C’est là un point essentiel, car même si les parties ont entendu poursuivre le contrat à son échéance d’un commun accord et se dispenser des règles strictes du renouvellement du bail, à n’importe quel moment sous ce délai bref (six mois à échéance du dernier jour du trimestre civil), le bailleur, comme le preneur, pourront mettre un terme au bail.
Un tel délai peut constituer une réelle difficulté pour le preneur qui devra reloger son activité à court terme dans un nouveau local. De même le bailleur se trouvera dans l’obligation, face à une résiliation anticipée du preneur, de chercher un nouveau locataire rapidement.
De telles situations ne sont pas rares par ailleurs quand apparaît un conflit entre bailleur et preneur (ou dans le cadre de cession de l’immeuble à un nouveau bailleur ou de l’entreprise à un nouveau preneur) et qu’il est constaté une tacite prolongation d’un bail initial qui n’a jamais été renouvelé dans les formes. Il n’est pas rare que l’argument d’une sortie anticipée du bail soit invoqué par la partie qui y a intérêt au détriment d’une échéance dans le temps que les parties pensaient avoir organisé.
Comment la tacite prolongation impacte-t-elle le loyer et les clauses du bail ?
Concernant le loyer, il ne peut être augmenté du simple fait de la prolongation tacite du bail. La clause d’indexation, s’il en prévu, continue de jouer à chaque occurrence d’indexation. Le bail poursuivi tacitement reste soumis au plafonnement des loyers dès lors qu’il ne dépasse pas douze années (durée du bail initial ajoutée à celle du bail tacitement prolongé). Le plafonnement du loyer permet de limiter l’augmentation du loyer en fonction de la variation d’un indice. Ce plafonnement ne joue que lorsque la valeur locative du bien est supérieure au montant du loyer pratiqué.
Passées les douze années, le bail n’est plus soumis au plafonnement du loyer. La hausse du loyer n’est alors plus limitée et le bailleur est libre de pratiquer une augmentation de loyer au prix qu’il souhaite. Le bailleur a ainsi plutôt intérêt à laisser courir le bail tacitement prolongé, afin d’arriver à ce déplafonnement. En revanche, le preneur doit être vigilant à la durée du bail, afin d’être en mesure de demander le renouvellement du bail avant l’expiration de ces douze années.
Si le bail tacitement prolongé constitue la poursuite du bail commercial initialement conclu, il n’en est pas moins une période plus précaire pour le locataire, notamment par rapport à la possibilité laissée au bailleur de donner congé sans condition de durée, ou encore du risque de voir le loyer déplafonné dès lors que le bail dépasse la durée de douze années.
Cette situation n’est pas plus sécurisante pour le bailleur qui peut voir partir un locataire à court délai également, notamment lorsqu’il y a une pression foncière dans la zone où sont situés les locaux ou si des travaux d’ampleur ont été (ou doivent être) engagés et à amortir sur des loyers futurs sans perspective de trouver rapidement un nouveau locataire.
Les autres conditions du bail initial sont maintenues en cas de tacite prolongation du bail. Cela vise tant les clauses sur la destination que sur les charges du bail. En effet, le preneur ne peut profiter de la prolongation tacite du bail pour s’estimer délié des règles fixées dans le bail. Il ne peut pas changer son activité sans respecter les règles de déspécialisation (voir notre article sur ce sujet : « Peut-on changer d’activité dans un bail commercial ? »).
Comment mettre fin ou renouveler un bail tacitement prolongé ?
Outre la demande de résiliation unilatérale à court délai, à tous moments, les parties peuvent sortir contractuellement de la tacite prolongation en sollicitant le renouvellement du bail dans les formes légales (congé avec offre de renouvellement par le bailleur ou demande de renouvellement du preneur par exemple). En effet, cette demande si elle doit intervenir par principe au moins six mois avant l’échéance initiale du bail, peut intervenir aussi à tout moment a posteriori. Une telle demande met fin à la tacite prolongation et invite les parties à revenir dans les règles strictes du renouvellement (poursuite du bail en cas d’acceptation des parties ou indemnisation du preneur en cas de non-poursuite du bail).
Ce bail prendra également fin suite à une demande de renouvellement faite par le preneur et acceptée par le bailleur, ce qui entraînera alors la conclusion d’un nouveau contrat (le bail renouvelé) dont les termes seront alors définis entre les parties.
Tacite prolongation : faut-il laisser courir ou prendre un décision ?
Les parties, de part et d’autre, seront donc bien inspirées d’analyser le terme du bail et les modalités de poursuite de ce dernier à son échéance avant de prendre toute décision. Il n’est certes pas toujours judicieux de solliciter le renouvellement du bail à son échéance et il peut être favorable de laisser le bail se poursuivre à son échéance, selon qu’on est bailleur ou preneur, mais également et surtout selon le contexte du bail et des locaux. Comme on dit, il est parfois urgent d’attendre en pareil cas.
A propos de L'auteur
Audrey Palabost
Juriste en droit des sociétés
Audrey Palabost accompagne les chef(fe)s d’entreprise de la région Auvergne-Rhône-Alpes au sein de l’agence située à Villeurbanne. Elle intervient en droit des sociétés, droit commercial et plus particulièrement sur les problématiques liées aux baux commerciaux.
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